DESCENTE DU MARONI

6 H 00 du matin, la brume laisse à peine entrevoir l’autre rive, ou peut-être est-ce moi, qui encore endormie, ai du mal à quitter l’univers des rêves. La nature engourdie, tarde, s’étire au-dessus de cette brume, couverture douillette et moelleuse sous laquelle se blottit M. Maroni.

Se réveiller, le réveiller ! Le temps du repos a assez duré. Le soleil pointe son nez, pique la brume et, triomphant, dévoile une allée de lumière, sur laquelle nous nous apprêtons à embarquer.

Bruits de voix, hurlements de moteur, clapotis de l’eau contre le ponton, et plus loin, beaucoup plus loin, au delà des rumeurs du village, on devine le chant des oiseaux.

Un peu de mouvement, et nous voilà partis. Le paysage défile. Et lui, fleuve miroir aux reflets éblouissants et aveuglants, demeure tranquille, immobile, abolissant la frontière entre ciel et eau, dans laquelle les arbres plongent leurs racines, à la recherche d’un trésor caché.

Peu à peu, mon oreille s’habitue au ronronnement du moteur, et mes paupières, alourdies par une chaleur pesante et moite, se ferment à mon insu. Je m’assoupis.

Soudain, ballotée, secouée, je sursaute. Le Bossman, debout en équilibre à l’avant du canot, manie le takari avec aisance, et ne semble pas perturbé par ce bouillonnement d’écume. Ses gestes sont précis et rapides ; jamais il ne se laisse surprendre par le rocher malveillant, qui tente sournoisement de fracasser notre coque. Le motoriste ne le perd surtout pas des yeux, toujours à l’affût d’un petit signe de la main, qui le préviendrait du danger.

Comme aimantée par le fonds de la pirogue, je tente de fermer la porte à tout sentiment d’angoisse, mais en vain ! Le fleuve rugit, blanchit de colère, me gifle, envahit, inonde la pirogue, la tire et la pousse avec une force inestimée. J’arrête de respirer, quelques secondes d’apnée, le calme est revenu. Nous venons de franchir un saut.

Mes vêtements sont trempés. La brise, qui, quelques heures auparavant me rafraîchissait agréablement, me paraît glaciale et me transperce le corps. une ombre gigantesque,au-dessus de nous, annonce l’arrivée immanente d’un orage. La pirogue devient un lieu d’agitation soudaine, où chacun se précipite sur sa touk pour en extraire une cape, une serviette, une bâche… Vite, la pluie est là ! Agressive, cinglante, elle nous oblige à baisser le regard. Je plonge une main dans le fleuve, il est tiède et doux.